Par ce début d'après-midi, les jardins du château de Krakenburg, baignés dans la douce lumière du soleil, ne laissaient entrevoir qu'un vaste terrain où la verdure frissonnait dans un mistral enchanteur. Le calme qui régnait ce jour-là était à la fois reposant et étrange : Personne semblait n'avoir matière à discuter, car chacun était bien vite parti à ses occupations après l'heure du repas. Loin d'être pesante, l'atmosphère recelait malgré tout une tranquillité particulière. Après la signature du traité, les choses avaient tendance à se passer de cette façon. Il y avait des jours comme ça.

Jakob ne fit pas exception. Après s'être bien assuré que son maître soit retourné dans ses quartiers, le majordome avait entrepris de se rendre dans les jardins du château pour y étendre des draps. Cela faisait partie de son quotidien, même si Felicia se chargeait de cette tâche plus fréquemment. Toujours avec soin, il veilla à ce que tout soit disposé correctement, malgré le temps plutôt venteux.

Un air un peu perplexe sur le visage, il contempla les lieux, se demandant que faire. Le beau temps invitait à venir prendre le thé, sur la terrasse. Proposer cette activité à son seigneur était donc envisageable. Le prince Corrin semblait plutôt ailleurs ces derniers temps, un peu comme si une pensée secrète l'obsédait. Il était dans ses habitudes de cogiter abusivement, et même si Jakob serait hautement honoré d'être son confident, il le connaissait assez bien pour savoir que ce dernier ne lui en dirait sans doute rien.

Attendant quelques instants avant de regagner l'intérieur, il décida avant tout de faire une petite patrouille dans le jardin. Rare furent les personnes qu'il rencontra, si ce n'étaient que quelques domestiques qui balayaient les feuilles mortes, ou des sentinelles qui, scrutant au loin, laissaient un bâillement déformer leur bouche. D'un pas furtif, il arpenta l'allée bordée par des buissons, contournant le château sans remarquer quoique ce soit. Son inspection avait -de cette façon- des allures d'une promenade de santé.

Enfin, en tournant les talons, Jakob finit par tomber sur une jeune demoiselle qu'il manqua de percuter. Ses cheveux aux couleurs fantaisistes firent qu'il la reconnut immédiatement dans le feu de l'action :

« — Oh c'est vous Peri, je me m'attendais pas à vous croiser ici. Vous cherchez quelque chose ? »


Il avait maintes fois eu l'occasion de discuter de lui parler... et de la connaître. Cette fois-ci, il avait sans doute un peu plus de temps à lui consacrer.

Le moins qu'on puisse dire, c'était que Peri était toujours aussi juvénile. En dehors du champ de bataille, cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas vue. En outre, entretenir son statut de vassale du Roi Xander ne semblait pas faire peser sur elle de trop lourdes responsabilités, puisqu'elle déambulait dans les jardins du château. Si Jakob en faisait de même, celui-ci refusait que son ennui se fasse savoir. Il utilisait souvent son rôle de majordome comme prétexte pour échapper aux occupations qui ne lui plaisaient guère. Comme préparer du thé à quelqu'un qui le demandait de façon inconvenante par exemple :

« — Oh ! Jakob ! Te voilà ! Je suis contente que ce soit toi. Prépare-moi un thé ! Noir ! J'ai soif ! »

Sans vraiment être surpris, le majordome poussa un long soupir :
« — J'imagine que des choses ne changent pas... malheureusement pour moi. » regretta-t-il avec exaspération.


Il eut comme une impression de déjà-vu. Parfois, les enfantillages de Peri avaient le don de l'horripiler, lui qui était si facilement irritable. Bien qu'elle était passée maître dans l'art du combat, Jakob ne félicitait pas son impulsivité et son manque de tact. Pour être tout à fait honnête, il n'avait aucune envie de lui préparer un thé, malgré son manque d'occupations évident. Ce n'était pas la tâche qui le gênait, mais plutôt la façon dont cela avait été demandé.

« — Si vous voulez un thé, préparez-le vous-même. Comme vous pouvez le voir, je suis actuellement occupé à faire des... rondes aux alentours du château. » déclara-t-il sans cacher son incommodité.


Menteur. Le pire dans tout cela, c'est qu'il était resté égal à lui même, toujours avec cette froideur qui lui était propre. Le mensonge résidait dans le fait qu'il disait être occupé. Ce qui n'était pas totalement faux, puisqu'il avait entrepris de sillonner les châteaux dans un but prévenant : Débusquer d'éventuels intrus. À l'époque, les tentatives d'infiltration au château de Krakenburg pour s'en prendre à la famille royale, étaient loin de se faire rares. Aujourd'hui encore, les héritiers du trône de Nohr n'étaient pas à l'abri du danger, et ce, malgré la signature du traité de paix. Toutefois, la tranquillité des lieux était indiscutable, et Jakob n'avait aucune excuse.

Connaissant plutôt bien Peri, il s'attendait bien à ce que celle-ci se mette à faire des caprices entre deux sanglots. Il n'en n'avait cure, mais commença à reconsidérer la chose. Non pas parce que cela peinait la jeune cavalière, mais plutôt parce qu'il n'avait vraiment rien à faire. Cet après-midi se passerait sans doute en toute quiétude, sans que son maître fasse appel à ses services... Peut-être allait-il finir par changer d'avis, au bout du compte...  

« — Que m'importe comment vous comptez exprimer indignation. Votre gorge finira tellement par vous faire souffrir que vous vous attèlerez à la tâche vous-même ! »