Je m’y étais enfin résolu. Je voyageais enfin en Nohr, le royaume où ma mère a vu le jour. Considérant cela comme un grand jour, j’ai décidé de monter Tyr, le cheval que ma mère m’a légué. Je ne suis pas excellent cavalier mais je suis tout juste suffisamment habile pour réussir à me tenir droit et faire avancer ma monture.
Nohr… Un royaume ennemi pour mon père et le royaume qui a renié ma mère. Malgré cela, elle a tout de même tenu à nous enseigner quelque coutume que ce soit culturelle, social ou même militaire. Néanmoins, maintenant que j’étais ici, je ne pouvais m’empêcher de penser que Nohr me paraissait bien plus accueillant lorsque ma mère en parlait. Les alentours me laissaient une impression sinistre… Peut-être est-ce juste une habitude à prendre ?
Quoiqu’il en fût, c’était le moment pour moi de faire une pause. On m’avait prévenu que voyager à cheval, pégases, etc… Pouvait devenir douloureux, mais là… J’ai l’impression que mes jambes vont me lâcher. Je nous écartai de la route, Tyr et moi, afin que nous puissions profiter d’un peu de repos. Je chevauchais depuis un moment déjà et nous étions tous les deux affamés.
Décrochant une sacoche de riz de la selle, je donnai sa portion à mon compagnon puis vint mon tour. Trouvant rapidement quelques branchages, j’allumai un petit feu afin de me faire cuire quelque chose de rapide. Un peu d’eau et du riz, voilà et je pris un morceau de viande séchée d’une sacoche accrochée à la selle. Un repas simple qui devrait suffisamment me tenir au ventre.
Attendant que mon repas cuise, je m’étais adossé à un arbre, mon katana apposé contre mon épaule. J’étais à l’affut. Les bandits étaient toujours présents et un homme seul pouvait représenter une belle opportunité, surtout qu’on voyait facilement à mes vêtements que je n’étais pas nohrien et, malgré le traité de paix, certains nohriens ne laisseraient pas passer l’occasion de s’en prendre à un hoshidien. Espérons juste que cela n’arrive pas.
Les terres Nohriennes étaient bien différentes de mon pays. Cette partie boisée de Nohr dégageait une atmosphère lugubre. Je pressais le pas nerveuse. Je devais me hâter de trouver une ville ou un village avant la nuit. Comme cette partie de Nohr était lugubre en journée, je n'osais même pas imaginer comment ça devait être à la nuit tombée.
Habituellement, je supportais plutôt bien la solitude mais dans ces conditions là je regrettais de ne pas avoir quelqu'un avec qui faire un bout de chemin. Une femme seule dans les bois ferait une cible facile, même armée d'une naginata.
Las, la nuit tomba et je n'avais toujours pas rejoins la sécurité relative de la civilisation. L'idée de passer la nuit dehors ici ne m'enchantais guère... Je persistais donc à marcher, même si je ne savais pas vraiment ou je mettais mes pieds. Je vis au loin ce qui semblait être la lumière d'un feu. Je n'étais pas seule ici et je ne savais pas si je devais m'en réjouir ou non. Préférant ne pas prendre de risque, je décidais de passer mon chemin discrètement, dans l’obscurité. Était-ce la pénombre ou la fatigue? Je ne saurais le dire, toujours est-il que mes pieds se prirent dans une racine.
Je ne pus retenir un cri de douleur. Ma cheville me lançait tellement que j'en avais les larmes aux yeux. Une peur panique commença à me gagner. Pourvu que personne ne m'ait entendu. J'essayais de me remettre sur pied mais la douleur me cloua au sol. L'effroi me gagna en constatant que j'étais aussi bien incapable de me battre ou de fuir au cas ou quelqu'un viendrait.
Pendant que Tyr faisait sa vie, mon repas était sur le point d’être prêt. Alors que j’en salivais presque d’avance, un cri vint déchirer le silence. Me redressant la main sur la garde de mon arme, mon regard fixait la direction d’où semblait provenir le cri. Je n’étais pas seul… Combien y avait-il de personne ? Un ? Plus ? Il n’y avait qu’un seul moyen de le savoir.
Enflammant un bout de bois, toujours prêt à dégainer, je m’avançai. D’un pas lent et prudent, je me rapprochais de la source du cri. Lorsque j’arrivai enfin au niveau de la source du cri, je fus soulagé… Enfin… Façon de parler. Pas de bandit ou autre danger, mais juste une femme qui semblait s’être blessée. Lâchant un soupire, je m’accroupi près d’elle.
Elle avait les larmes aux yeux… Levant un peu les yeux, je vis son pied pris dans des racines… L’aidant à s’en dégager. Je me plaçai à ses côtés et… Aller… Aya’ prend ton courage à deux mains.
« Vous allez bien ? Prenez appui sur mon épaule… Je vais vous aider… J’ai un campement pas loin… »
Respire profondément… Ne panique pas… Manquerais plus que je perde mon sang-froid et que des bandits arrivent à ce moment là. Pourquoi fallait-il que ce soit une femme ? Elle semblait avoir mon âge, ce qui ajoutait à mon angoisse, je ne pouvais cependant pas laisser quelqu'un dans le besoin. Espérons juste qu'elle ne me prenne pas pour un bandit, un violeur ou je ne sais quoi.
Lorsque je vis la lumière d'une torche approcher vers moi, je sentis l'angoisse serrer ma gorge au point de ne pouvoir émettre le moindre son. Pourvu que je ne sois pas tombée sur un bandit. Comme il s'approchait de moi, je le détaillais prudemment. C'était un jeune homme aux cheveux écarlates. A en juger par ses vêtements il devait être hoshidien. Que faisait donc cet homme ici?
Sans crier gare, il s'accroupit et libéra mon pied de la racine, cette simple manipulation fit refluer la douleur. Je ne pus retenir un gémissement. Pourvu que ce ne soit pas très grave. Que ferais je si je ne peux plus danser? Ou marcher... dans l'immédiat.
« Vous allez bien ? Prenez appui sur mon épaule… Je vais vous aider… J’ai un campement pas loin… »
C'était bien la première fois que je me retrouvais seule avec un homme. Il était si près de moi. Je sentis mes joues rougirent d'embarras. Cette situation était tellement gênante! Il fallait que j'en sorte du manière ou d'une autre.
- Je crois que je vais pouvoir marcher mais merci.
Mais à peine mettais je mon poids sur mon pied que la douleur me rappela à l'ordre. ... On dirait que je n'ai pas le choix.
- Désolée. On dirait que je vais avoir besoin d'aide finalement.
Et ça me faisait mal d'avoir à l'admettre. J'étais pitoyable...
Je pris donc appui sur son épaule. Mais je m'inquiétais tout de même:
- Vous êtes sûr que ça ne vous pose pas de problème?
J’avais peut-être été un peu trop brusque en libérant son pied mais on ne pouvait pas s’autoriser à rester ici. Ma proposition d’aide fut refuser, elle pouvait apparemment marcher seule. C’était un bon point, même si j’aurais préféré m’en assurer, je n’eus cependant qu’à attendre qu’elle essaye de marcher pour voir qu’elle ne pouvait pas le faire seule.
S’excusant, elle affirma qu’elle aurait besoin de mon aide finalement. Oui… Pas de problème… Bon… Aller… Aller Aya’, tu peux pas la laisser comme ça, il en va de ton honneur. Prenant une profonde respiration. Lorsqu’elle prit appuie sur mon épaule, cela me donna un frisson qui me parcouru l’échine. C’est pas le moment de se laisser décontenancer. Avant que nous nous mettions en route, elle me demanda si j’étais sûr que cela ne me posait pas de problème. Si seulement elle savait.
« La seule chose qui me poserait problème, c’est de laisser quelqu’un dans le besoin. »
Je faisais le beau, je me donnais de l’assurance, mais elle me terrifiait. Malgré tout, je me devais de surmonter cette peur et de lui porter assistance, j’aurais tout le temps d’être effrayé après.
C’est donc à son rythme que nous sommes doucement diriger vers mon campement. Durant tout le trajet, je sentais mon cœur battre aussi bien à cause de la peur que par l’embarras, car, j’avais beau avoir peur des femmes, j’étais obligé d’avouer qu’elle était plutôt bien fichue.
Arrivant finalement au niveau de mon campement, je l’aidai à s’installer contre un arbre et me dépêchai de m’occuper du riz, et ce, juste à temps. Un peu plus et le riz aurait été moins agréable à manger. Sortant un petit bol en cuivre de l’une des sacoches de selle, je la remplie de riz avant de la tendre en direction de l’inconnue. Avec sa blessure, nous avons de grande chance de devoir passer la nuit ensemble alors autant me montrer amical.
« La seule chose qui me poserait problème, c’est de laisser quelqu’un dans le besoin. »
J'étais rassurée par les mots de ce charmant inconnu. Dans mon malheur, j'avais eu de la chance d'être tombée sur quelqu'un d'aussi serviable. Aussi embarrassant que cela puisse être, j'avais dû admettre que cette fois ci, je n'arriverais pas à me débrouiller seule, comme me le rappelais la douleur tenace. Le campement avait beau être proche, il semblait s'être écoulé une éternité avant que je puisse me poser contre un arbre avec l'aide du jeune homme.
Je pris le bol de riz, en le gratifiant d'un sourire timide. Un silence gêné s'installa. Je gardais les yeux rivés sur le riz, perplexe. Comment allais-je manger le riz sans cuillère? A la main? où bien...? Je regrettais mon manque de prévoyance. J'aurais dû penser à prendre avant de partir... Cyrkensia était loin derrière moi maintenant. J'attendais donc de voir comme l'Hoshidien s'y prenait. J'aurais pu demander mais la question me semblait tellement ridicule que j'étais certaine qu'il me prendrait pour une cruche.
La situation était déja inconfortable mais pour ne rien arranger, il y avait ce silence gêné... Je pensais à autre chose. Je voulais le remercier en bonne et due forme mais pas un mot ne franchit mes lèvres. Il ne parlait pas non plus... La nuit promettait d'être longue si on continuait ainsi. Je sentais la chaleur du bol réchauffer mes mains. Puisant mon courage dans ce simple réconfort, je finis par dire:
- Je ne sais pas comment vous remercier pour votre aide. J'ai l'impression d'abuser de votre gentillesse. Je ne possède pas grand chose, n'étant qu'une simple chanteuse mais j'aimerais tout de même vous donner ou faire quelque chose en échange. Dites moi juste ce que vous voulez, d'accord?
Puis je me rendis compte de quelque chose: - Oh, je ne me suis pas présentée. Appelez moi Sélène. Quel est votre nom?
Elle attrapa le bol que je lui tendais en m’adressant un sourire. Lui rendant son sourire de manière bien plus furtif, je pris place face à elle, de l’autre côté du feu, tandis qu’un silence que je qualifierai de pesant, s’installa. Je jetai de petit regard furtif dans sa direction. Qu’avait-elle à fixer son riz comme ça ? La réponse me vint immédiatement à l’esprit. Ma mère m’avait pourtant dit qu’on ne mangeait pas de la même manière en Nohr qu’en Hoshido.
Fouillant dans mes sacoches, je devais bien avoir quelque chose qui pouvait faire office de couvert. J’avais des baguettes mais cela m’étonnerait qu’elle sache s’en servir. Coinçant mes baguettes entre mes dents, je continuais à fouiller. Par chance, j’ai finalement réussi à trouver une cuillère en bois, un souvenir de ma mère, du temps où elle nous enseignait, à Mitsuna et moi, comment mangeaient les nohrien.
Durant toute la durée de ma recherche, ni elle, ni moi n’avions prononcé le moindre mot. Je ne sais pas pour elle, mais personnellement, je me sentais particulièrement mal à l’aise, aussi bien à cause du silence que par sa simple présence. Alors que j’allais me rapprocher d’elle afin de lui tendre la cuillère, elle prit la parole.
Elle me remerciait pour mon aide et disait avoir l’impression d’abuser de ma gentillesse. Elle souhaitait me remercier, mais n’étant qu’une simple chanteuse, elle ne possédait pas grand-chose et malgré tout, elle tenait à faire quelque chose en échange, j’avais juste à lui demander. Elle termina en se présentant sous le nom de Sélène et me demandant le mien.
« Ayama… Ayama Ikamatsu… »
Je lui tendis la cuillère en même temps que je me présentais. Lorsqu’elle eut prise, je repris place de l’autre côté du feu. Comment discuter avec quelqu’un pouvait être aussi compliqué ? Elle était un être vivant comme moi, elle était juste du sexe opposé, pourquoi cela me rendait les choses aussi difficile ? Aller… Un petit effort…
« Ce n'est pas bien prudent de voyager seule… Où alliez-vous ? »
Bon… C’est déjà mieux que rien… Si je pouvais parait plus amical et un peu moins… Moi-même, ça aurait été parfait mais bon…
Le jeune homme cherchait quelque chose dans son sac en silence. Il revint vers moi comme je me présentais et me répondit tout en me tendant une cuillère en bois : - Ayama… Ayama Ikamatsu
Je pris donc la cuillère soulagée, en jetant un coup d’œil furtif aux baguettes. Est-il vraiment possible de manger avec ça ? Surtout du riz. J'étais curieuse de voir comment il s'y prendrait. Il s'installa de nouveau de l'autre côté du feu pendant que j'attaquais mon repas à la cuillère. Le riz était bien cuit et réchauffa mon corps. Alors que j'étais résignée à passer le temps du repas en silence, Ayama parla :
« Ce n'est pas bien prudent de voyager seule… Où alliez vous ? »
Je jouais avec la cuillère, réfléchissant que lui répondre. Je n'étais pas obligée d'entrer dans les détails ni de m'embarquer dans de longues phrases. De plus là question était des plus simple. Pas la peine de stresser. Je me lançais :
- Me retrouver en présence d'inconnus me rend nerveuse donc je préfère voyager seule. Et puis, je ne suis pas totalement sans défense. Je ne porte pas cette naginata pour faire joli.
Il avait raison bien sûr. J'avais bien conscience que voyager seule était dangereux mais bon, en faisant attention, on peut éviter les éventuels dangers. En y repensant bien, j'avais cessé de faire attention ou je mettais les pieds, trop pressée de partir. Et bien sûr ce qui devait arriver arriva… Je vérifiais l'état de ma cheville gonflée, avant de continuer :
-Je me dirigeais vers la capitale Nohrienne. J'espère donner une représentation devant la famille royale. C'est… en quelque sorte un rêve. Alors je voyage à travers le pays en essayant de gagner ma vie en chantant et en dansant dans les villes où je passe. Ça me change de Nestra. Et vous ? Que faites vous si loin d'Hoshido ?Finis-je par dire, trouvant avoir assez parler pour le moment.
Peut-être en ai-je trop dis ? J'espère que je ne l'ennuie pas. Il était temps que j'oriente la conversation sur lui. Je me remis à manger, essayant de me focaliser sur autre chose que ma cheville. Je n'arrivais pas à me débarrasser de cette inquiétude. Il faudra que j'arrive a trouver un guérisseur dès demain... en espérant que j'arrive à marcher jusqu'au prochain village.
Coinçant les baguettes entre deux doigts, je piquais de petite portion de riz afin de manger en attendant sa réponse. Je la voyais jouer avec la cuillère, comme si elle réfléchissait. Lorsqu’elle prit la parole, elle m’avoua que voyager avec des inconnus la rendait nerveuse et que par conséquent elle préférait être seule, elle portait d’ailleurs une naginata afin de ne pas paraître sans défense.
Je ne pouvais rien redire à cela, néanmoins, j’espérais qu’elle avait conscience que cela ne suffit pas d’avoir l’air armé pour éviter les ennuis. Elle continua en déclarant qu’elle se dirigeait vers la capitale nohrienne avec l’espoir de jouer pour la famille royale, c’était d’ailleurs grâce à ses chants et ses danses qu’elle subvenait à ses besoins. Elle ajoutant que cela la changeait de Nestra.
Elle était donc de Netra. C’était à savoir. Pour finir, elle me retourna ma question en me demandant ce que je faisais loin d’Hoshido. Le fait qu’elle me retourne la question était tout à fait légitime. Je piquai une dernière portion de riz avant de lui répondre.
« On peut dire que je suis en pèlerinage… »
Elle n’avait pas besoin de savoir pour Mitsuna. Et puis, je ne lui mentais pas totalement, je profitais de mes recherches afin de découvrir le pays natal de ma mère.
« Il y a bien un chose qu’on ne devine pas chez moi… C’est que, bien que fus élevé comme un hoshidien, ma mère était nohrienne. Elle a toujours voulu nous faire découvrir son village natal… Oui… Elle l’a toujours voulu… »
Je m’étais fait à sa mort depuis le temps mais y repenser me filais parfois le cafard. Je ne blâmais pas Sélène de m’y avoir fait repenser, c’était entièrement ma faute. Mais bref ! Ne ressassons pas le passé. Je terminai mon riz et remercia silencieusement les dieux pour ce repas.
Ce que nous cherchions à éviter revint bien vite. À nouveau, le silence se posa. C’était extrêmement embarrassant d’être là et de ne rien n’avoir à dire. Il nous fallait un sujet de conversation mais lequel ? Je n’allais pas continuer de l’interroger, de crainte de lui faire peur à vouloir en savoir plus sur elle. Je fixais les flammes, jetant de temps en temps de rapide regard en sa direction tandis qu’une boule se formait au niveau de ma gorge et de mon estomac, me faisant me sentir de plus en plus mal à l’aise.
Ce qu'il me confia me surprit. Une mère nohrienne et un père hoshidien ? Si je n'avais pas eu sous mes yeux la preuve vivante d'une union a priori improbable, je ne l'aurais pas cru. Lorsque la paix entre Hoshido et Nohr avait été annoncée, je n'y avais pas cru. Après un an passé, je ne croyais toujours pas que cela puisse durer. Il y avait tant de rancœur des deux côtés qu'il suffirait d'un rien pour embraser de nouveau cette folie meurtrière. Mais à présent… je me surprends à espérer que les gens soient assez intelligents pour mettre de côté leurs histoires passées, apprendre à connaître l'autre et à se respecter.
Ne trouvant rien à répondre, je finis mon riz en silence. L'histoire de ses parents m'intriguait. Je l'aurais questionné davantage si je n'avais pas remarqué qu'il parlait d'elle au passé. Il avait perdu sa mère lui aussi. Je ne tenais pas à remuer le couteau dans la plaie. Je savais ce que ça faisait de perdre un membre de sa famille. Était-il seul lui aussi ? J'espérais pour lui que ce n'était pas le cas. Je connaissais le poids de la solitude depuis plus d'un an et je ne souhaitais pas que quelqu'un d'aussi gentil supporte cela.
Aussi étrange que cela puisse paraître, je commençais à éprouver de l'affection pour Ayama. En général, je préférais réserver mon jugement mais cette fois ci, c'était différent. C'était un homme bien qui avait de belles valeurs. Ça me donnait du baume au cœur de savoir qu'il y avait encore des gens comme ça.
Une pensée un peu folle me traversa l'esprit. Peut-être que nous aurions pu devenir amis ? Je soupirais. Non, mauvaise idée. Il ne vaut mieux pas. Je ne resterais pas bien longtemps en sa compagnie. Il a ses buts et moi les miens. Je ne le reverrais sans doute jamais. Je ne devrais pas m'attacher aussi vite. Et puis je n'avais jamais vraiment réussie à me faire d'amis. Je n'ai jamais sut comment m'y prendre. Mes échanges avec les autres se limitaient souvent à quelques mots de politesses. Faire la conversation et tout… je n'y arrive tout simplement pas. Et arrive ce silence pesant ou personne ne sait ce qu'il doit dire ou faire… Comme maintenant.
J'avais remarqué qu'il était un peu nerveux. Je devais le mettre mal à l'aise comme je mettais les autres mal à l'aise. Habituellement, je n'aurais jamais supporter un tel silence aussi longtemps et je me serais déjà défilée. Mais je n'étais pas en état de le faire. Et puis, cela aurait été impolie, pire ingrat de faire cela.
Me sentant suffisamment en confiance, je le regardais dans les yeux et lui dit en souriant: - Je vous impressionne tant que cela?
Une pensée saugrenue me traversa un instant l'esprit et je ne pus me retenir de rire. J'étais d'humeur taquine à l'instant.
- Serait-ce possible que je vous plaise ? Ajoutais-je sur d'une voix suggestive, un sourire mutin au lèvre.
Rien… Aucune idée ne me venait à l’esprit afin de briser ce silence qui s’était installé et qui était insupportable. Alors que je me retournais la tête à trouver un sujet de conversation, Sélène sembla sentir mon malaise grandissant. Elle me regarda dans les yeux en souriant puis me demanda si elle m’impressionnait tant que ça.
J’avais l’intention de répondre mais le son resta bloqué dans ma gorge. Comment lui dire… Alors que je réfléchissais à comment lui expliquer, elle reprit la parole pour me demander s’il était possible qu’elle me plaise. Mon visage vira à l’écarlate immédiatement et je fus pris d’une bouffée de chaleur.
« Non... Enfin oui…. Non… Enfin… Euh… Ahem… »
Je n’arrivais plus à aligner deux mots de manière cohérente. Je pris une profonde respiration. Elle m’avait juste posé une question, pas la peine de s’emballer pour si peu. Je repris mon calme.
« Enfin… Je veux dire. Oui… Vous êtes charmante, mais la raison de mon malaise est… Spéciale, dirons-nous… »
Mon dieu, mais qu’est-ce qui fait chaud. Pour m’occuper et espérer me calmer encore un peu plus, je pris mon bol et celui de Sélène afin de les ranger. Mais à peine me suis-je approcher d’elle, je sentis la boule dans ma gorge grossir, mon visage rougir encore plus qu’il ne l’était et mon cœur s’emballer. Une fois le bol en main, je m’éloignai d’elle un peu rapidement et reprit ma place tout aussi vite.
Je ne pus retenir un rire amusé, en voyant sa réaction. Il entreprit de ranger les bols et repartit avec hâte jusqu’à sa place. Peut-être n'aurais-je pas dû le taquiner de la sorte. Ma tentative pour détendre l'atmosphère semblait se solder par un échec. Le silence revint.
- Excusez-moi. Je n'aurais pas dû vous taquiner ainsi. Je suis sincèrement désolée de vous avoir contrarié…
Car après réflexion, ce n'était pas une façon de remercier quelqu'un. Je n'avais fais que de le mettre dans l’embarras. J'avais pris mes aises un peu trop vite avec lui. Ce n'étais pas dans mes habitudes de me comporter de la sorte, surtout avec quelqu'un que je ne connais peu. Mais il me faisait penser à quelqu'un. Je l'intimidais apparemment. Sans doute a-t-il peur des femmes ?
- Vous me rappelez ma petite sœur. Elle était loin d'être timide habituellement mais comme vous elle avait peur de parler aux personnes étant de sexe opposé. Pourtant, je la voyais parler quelques fois avec des hommes. Elle me disait qu'elle chantait sa chanson préférée dans sa tête, pour dissiper sa nervosité. Alors peut-être qu'en parlant de quelque chose que vous aimez, vous vous sentirez plus à l'aise ? Bien sûr ce n'est pas une solution miracle mais chaque petite victoire compte.
De nous deux, elle avait toujours été la plus volontaire. Je n'avais pas son courage. Je fuyais face à l'objet de mes peurs au lieux d'y faire face. C'était… une habitude. Une mauvaise habitude. Je n'avais pas la persévérance nécessaire pour m'en défaire. Je m'étais faite à l'idée de devoir poursuivre seule.
Inspire… Expire… Doucement… Alors que je commençais à me calmer, Sélène avait laissée s’échapper un petit rire amusé. Bien que je ne trouvais qu’il n’y avait rien de drôle, je dû me faire à l’idée que, vue par quelqu’un d’autre, ma situation pouvait amusante. Néanmoins, elle s’excusa, affirmant ne pas avoir voulu me contrarier. Je secouais la tête de gauche à droite.
Elle n’avait pas agît en mal, elle souhaitait juste détendre l’atmosphère, je ne pouvais pas lui en vouloir pour cela. Tandis que je continuais lentement, mais sûrement, à reprendre mon calme, elle prit à nouveau la parole.
Je lui rappelais apparemment sa petite sœur. Elle aussi avait une petite sœur ? Elle m’expliqua qu’elle n’était pas particulièrement timide, mais comme moi elle avait peur de parler aux personnes de sexe opposé. Malgré cela, elle l’a aperçu quelque fois discutée avec des hommes. Elle lui avait confiée qu’elle chantait sa chanson favorite dans sa tête afin de dissiper sa nervosité. Sélène me proposa de parler de quelque chose que j’aimais afin de voir si je me sentais plus à l’aise.
Quelque chose que j’aimais… Les premières choses qui me passèrent par l’esprit furent ma sœur Mitsuna, mes parents et Hoshido mais qu’est-ce que je pouvais bien dire dessus ? À part dire que mes parents étaient morts et que je cherchais ma sœur disparu, je n’avais pas grand-chose à dire. Ça m’étonnerait également que mon travail de garde-frontière nous permette de discuter des heures durant.
Une idée me vint à l’esprit. Elle avait bien dit qu’elle subvenait à ses besoins en chantant et en dansant, non ?
« Je ne sais pas vraiment quoi dire… Cependant… J’aimerais vous demander quelque chose… Est-ce que… Ahem… Eh bien… Est-ce que… Est-ce que vous accepteriez de… De chanter quelque chose ? Importe quoi. »
Je sais que les chansons ont parfois des effets apaisants, peut-être qu’entendre Sélène chanter me détendrais et nous aurions ainsi plus de facilité à discuter ?
Il semblait se calmer progressivement. Je le laissais réfléchir à un sujet dont il aimerait parler. Quelle ne fut pas ma surprise quand il me demanda de chanter. C'était la moindre des choses que je puisse faire, pour le remercier. Un chant nouveau s'imposa immédiatement dans mon esprit. C'était une ballade sereine et douce sur laquelle je travaillais depuis un moment.
Le fait d'écrire et chanter ses propres chansons offrait un plaisir incomparable, même si cet exercice n'était pas aussi facile qu'on pourrait le croire. J'aimais la poésie des mots combinée à l'harmonie d'une mélodie. J'avais encore beaucoup à apprendre mais cela n'avait pas d'importance. J'y mettais mon âme, mon cœur, en espérant toucher ceux des gens.
- Je vous dois bien ça. répondis-je.
Les yeux perdus à la contemplation des flammes, je laissais la mélodie revenir en moi puis je me mis à chanter d'une voix claire:
Tel l'eau claire des rivières Voilà le temps qui s'enfuit Enfant de la nuit, Chante cette ode la vie
Un tourbillon d'illusion confond tes souvenirs Enfant de lumière Danse jusqu’à l'aube
Protège cet espoir des ténèbres de ton coeur comme une flamme fragile Le rêve d'un avenir meilleur.
Tel l'eau claire des rivières Voilà le temps qui s'enfuit Un tourbillon d'illusion confond tes souvenirs Enfant de lumière Chante cette ode à la nuit.
Je fermais les yeux en prononçant ces derniers mots. La quiétude de ce moment fit place à de l'inquiétude. C'était la première fois que je chantais cette chanson devant quelqu'un.
- Peut-être est-ce trop redondant. Qu'en pensez vous? finis-je par dire, en un soupirs.
Sélène accéda à ma requête, affirmant qu’elle me devait bien ça. J’hochai la tête afin de la remercier et la vit fixer les flammes avant de se mettre à chanter d’une voix pure et mélodieuse. Afin de savourer cette mélodie qu’elle acceptait de m’offrir, je fermai les yeux et n’écoutai que ses paroles.
Je rouvris les yeux lorsqu’elle eut terminée. Elle avait paru si sereine pendant son chant qu’en dépit de ma peur des femmes, je me sentais détendu. Je la vis fermer les yeux comme si elle aussi, savourait sa chanson. Au bout d’un court instant, elle me déclara dans un soupir qu’elle trouvait cela un peu redondant et me demanda mon avis. Je fixai les flammes un instant.
« Pour être franc… Je doute être bon critique… He he… Déjà qu’une casserole chanterait mieux que moi… Mais si vous voulez mon avis personnel… Je trouve votre chant très mélodieux… J’ai beaucoup aimé… »
Je ressenti une nouvelle bouffée de chaleur et m’éloigna un peu du foyer. J’espérais qu’elle n’irait pas croire que j’essayais de la courtiser, ce serait un énorme quiproquo, je lui disais simplement ce que je pensais. Après… Je dois avouer que, si je devais faire la cour à quelqu’un, il y aurait de grande chance que mon dévolu se pose sur elle… Mais j’étais encore loin de ce moment, alors…
À présent, la nuit était bien tombée et l’air commençait à se rafraîchir. Tyr n’était pas loin et semblait s’être trouvé un coin pour la nuit. Personnellement, la chevauchée d’aujourd’hui avait beau être épuisante, je ne me sentais pas particulièrement fatigué… Peut-être la présence de Sélène ? Ou peut-être un autre effet de son chant ? Allez savoir.
Il avait aimé. A cette pensée, je laissais échapper un soupir de soulagement. L'atmosphère semblait s'être détendue. Un silence tranquille s'installa. La musique possédait de nombreux pouvoirs, dont celui d'apaiser les esprits et les cœurs des gens.
- Aussi surprenant que ça puisse paraître pour une chanteuse, le simple fait de me retrouver au milieu de la foule me rend nerveuse mais quand je chante, j'oublie mes peurs le temps d'une chanson.
Je ne savais pas vraiment pourquoi je lui disais tout cela. Peut-être parce que je me sentais suffisamment en confiance avec lui ? Ou était-ce simplement parce qu'il m'avait confié avoir peur des femmes que j'étais encline à me confier à mon tour ? Je ne saurais le dire. D'une certaine manière, cela fait du bien de parler de choses qu'on garde habituellement pour soi.
-Vous savez, je n'ai jamais été très à l'aise en présence d'inconnus. J'ai dû mal à tenir une conversation, à nouer des liens avec les autres.
Je m'en voulu soudain d'en parler. C'était loin d'être intéressant. Confuse, je lui présentais mes excuses.
- Excusez moi de vous ennuyer avec ça.
Je me mis à chercher un sujet de conversation pour cacher mon embarras mais rien ne vint. J'avais l'impression d'avoir tout gâcher. J'aurais dû me taire.
Hors-rp: Désolée pour cette courte réponse ^^' Dis moi si tu veux que je l'améliore.
Sélène lâcha un soupire qui semblait être de soulagement lorsque je lui affirma aimer sa chanson. Y avait-il une raison particulière à cela ? Peut-être, peut-être pas. Quoiqu’il en fut, elle prit la parole pour m’expliqua qu’aussi étonnant que cela puisse paraître, elle n’était pas à l’aise avec les foules, mais lorsqu’elle chantait, elle n’avait plus ce problème, le temps d’une chanson.
Elle s’ouvrait à moi ? Qu’avais- je fais pour mériter sa confiance ? Est-ce que le simple fait d’avoir aimé sa mélodie suffisait pour qu’elle accepte d’en dire plus sur elle ? Je l’avais aidé, certes, mais je n’ai jamais demandé rétribution, savoir qu’elle ne risquait rien me suffisait amplement.
Alors que je cherchais pour quelle raison elle acceptait de se confier à moi, elle continua. Elle n’a jamais été à l’aise avec les inconnus : Elle peine à tenir une conversation ou à nouer des liens. Dans ce cas, en quoi j’étais différent d’autrui ? Nous restions des inconnus l’un pour l’autre. Elle en vint à s’excuser de m’ennuyer avec ça.
« Vous ne m’ennuyez pas… C’est normal d’avoir besoin de se confier… Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est… Pourquoi moi ? Nous nous connaissons à peine… »
Je lâchai un soupir. J’avais l’impression de l’envoyer voir ailleurs et je ne me sentais pas particulièrement bien d'avoir agit ainsi. Mais confidence pour confidence…
« Excusez-moi… C’était déplacé de ma part… Mais à mon tour de me confier… Lorsque j’ai dit venir en Nohr pour un pèlerinage, ce n’était pas totalement vrai… En réalité, j’ai une petite sœur, Mitsuna… Elle disparue en me laissant un message, me demandant de la retrouver… »
C’était quelque chose que je gardais pour moi depuis sa disparition. Personne, hormis Sélène à présent, ne savait pour Mitsuna. Mes camarades gardes-frontières et notre village croyaient qu’elle était partie pour la capitale afin d’étudier… Heureusement qu’aucun n’a l’idée d’aller lui rendre visite pour prendre de ses nouvelles, tout le monde se contente de me les demander.
J’avais sans doute plombé l’ambiance avec ça, mais comme je l’ai dit : Confidence pour confidence.
« Vous ne m’ennuyez pas… C’est normal d’avoir besoin de se confier… Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est… Pourquoi moi ? Nous nous connaissons à peine… »
Pourquoi lui? C'était troublant en effet, surtout que ce n'était pas dans mes habitudes de parler de moi, de mes peurs… Peut-être que la solitude avait eu raison de mon bon sens? Ou peut-être y avait-il autre chose. Avant que je puisse creuser davantage la question, il reprit la parole.
« Excusez-moi… C’était déplacé de ma part… Mais à mon tour de me confier… Lorsque j’ai dit venir en Nohr pour un pèlerinage, ce n’était pas totalement vrai… En réalité, j’ai une petite sœur, Mitsuna… Elle disparue en me laissant un message, me demandant de la retrouver… »
Je le regardais, pensive. Il ne semblait pas y avoir de malice en lui. Il avait l'air authentique et me rappelait un peu ma petite sœur avec sa peur des femmes. Peut-être était-ce pour cela que je ressentais le besoin de me rapprocher de lui, espérant qu'on devienne amis.
- Ne vous excusez pas pour cela, votre question est légitime. Il est vrai que nous nous connaissons à peine mais je pense pouvoir affirmer sans me tromper que vous êtes un homme au grand cœur. Un homme n'hésite pas à aider des inconnus sans rien demander en retour. Par vos actes, vous défendez les valeurs auxquelles vous croyez. Et cela me suffit pour vous faire confiance.
Je sentis le feu me monter au visage en disant cela. Dis de cette façon, il pourrait penser que je cherche à le séduire. Je m'empressais d'ajouter : - En fait, je pensais que nous aurions pu devenir de bons amis. C'est une idée stupide n'est ce pas ? Après tout, nous suivons tout les deux des buts différents et nos chemins ne font que se croiser.
Voilà, c'était dit. Je devais bien avoir l'air ridicule à avoir de telles pensées.
- En tout cas, votre sœur à de la chance de vous avoir pour frère. J'espère sincèrement que vous la retrouverez saine et sauve.
Je réfléchissais… Je réfléchissais sur quoi nous pourrions tourner la conversation afin de l’ambiance soit moins déprimante. Cependant, je n’eus pas besoin de mener ma réflexion à terme car Sélène prit la parole.
Elle me déclara qu’il n’était pas nécessaire de m’excuser, que la question était légitime. Là, elle m’expliqua que, bien que nous nous connaissions à peine, elle pouvait sans aucun doute affirmer que j’étais un homme au grand cœur, quelqu’un qui n’hésitait pas à tendre la main à autrui sans rien demander en retour. Que je défendais mes valeurs par mes actes. Cela lui suffisait pour me faire confiance.
Bien… C’est que… C’était gênant. Je n’ai pas pour habitude d’être couvert d’éloge de la sorte, c’était assez bizarre. C’était plaisant mais affreusement gênant. Avant que je ne puisse dire quoique ce soit, elle ajouta un peu précipitamment qu’elle avait espoir que nous devenions bons amis. Elle qualifia cela comme étant une idée stupide car nos buts respectifs faisaient que nos chemins se croisaient, rien de plus. Elle termina en ajoutant que Mitsuna avait de la chance d’avoir un frère comme moi et me souhaita de la retrouver saine et sauve.
« Je tiens à vous remercier pour vos compliment… Je ne pense pas que je mérite de tel éloge… Cependant… Je ne suis pas d’accord avec vous… Certes nos buts sont différents… Mais malgré cela… Rien ne nous empêche d’être amis… Je pense… Que le monde est bien plus petit que l’on ne le croit… Si nos chemins se sont croisés ce soir… Ils se croiseront un autre jour… Et peut-être que ce jour, c’est vous qui m’aiderez et non pas l’inverse. »
Je ressortis la cuillère en bois de mes sacoches et m’approcha d’elle afin de la lui tendre.
« Si on ne croit pas en quelque chose, ce quelque chose ne sera jamais réalité… C’est ma mère qui m’a sculpté cette cuillère. Elle croyait au jour où nous pourrions visiter son village natal sans risque… C’est désormais possible. Alors si vous souhaitez que nous devenions amis… Nous le deviendront. Pour vous le prouver, je vous la confie… Je sais qu’un jour, vous me la rendrez. »
Avant qu’elle ne puisse dire quoique ce soit, je levai la main pour lui faire signe de garder le silence.
- Je tiens à vous remercier pour vos compliment… Je ne pense pas que je mérite de tel éloge…
Pourtant, je ne disais que la stricte vérité. Il était modeste en plus. Bien sûr, il devait avoir aussi ses propres défauts. Personne n'est parfait.
-Cependant… Je ne suis pas d’accord avec vous… Certes nos buts sont différents… Mais malgré cela… Rien ne nous empêche d’être amis… Je pense… Que le monde est bien plus petit que l’on ne le croit… Si nos chemins se sont croisés ce soir… Ils se croiseront un autre jour… Et peut-être que ce jour, c’est vous qui m’aiderez et non pas l’inverse. »
Je ne répondis rien, trop surprise par une telle sortie. Était-ce bien raisonnable d'y croire? J'étais depuis longtemps résignée à vivre telle une ombre furtive parmi les gens, sans laisser de trace, sans m'attacher parce que je savais que je ne faisais que passer et que je ne reverrais pas tout ces gens. Pourquoi serait-ce différent cette fois-ci? Il y avait très peu de chance qu'on se revoit. N'était-ce pas naïf? J'étais sceptique.
Il revint vers moi et me tendit la cuillère en bois de tout à l'heure en disant: « Si on ne croit pas en quelque chose, ce quelque chose ne sera jamais réalité… C’est ma mère qui m’a sculpté cette cuillère. Elle croyait au jour où nous pourrions visiter son village natal sans risque… C’est désormais possible. Alors si vous souhaitez que nous devenions amis… Nous le deviendront. Pour vous le prouver, je vous la confie… Je sais qu’un jour, vous me la rendrez. »
Ses paroles et son geste me touchèrent mais je ne pouvais accepter. Surtout pas en sachant que sa mère avait sculptée cette cuillère. Il devait y être très attaché. Mais je n'eus pas le temps de protester.
« C’est une offre non-négociable, Sélène. »
Voyant qu'il n'en démordrait pas, je finis par prendre la cuillère tendue.
- Vous êtes aussi têtu mais je suppose que vous le savez déjà. répondis-je en souriant
Je n'aurais pas dû la prendre. Le futur était tellement incertain. La voie que j'avais choisie était dangereuse. J'attendais le jour de la confrontation depuis longtemps, acceptant l'idée de devoir mourir pour que justice soit faite. Mais à présent, il y avait cette cuillère. Il y avait Ayama.
- Bien, je vous la rendrais la prochaine fois que nous nous reverrons. C'est une promesse.
J'espérais seulement être encore en vie pour la tenir. Y avait-il quelque chose d'autre à ajouter à cela? Je ne pensais pas. La soirée allait-elle se finir ainsi ou désirait-il que nous discutions encore un peu? Je me le demande.
C’est presque à contrecœur qu’elle prit la cuillère. Sélène m’affirma que j’étais têtu, mais supposa que je le savais sans doute déjà.
« On dit aussi que je suis naïf et suicidaire. C’est juste que les gens ne comprennent pas ma façon de faire et ma façon de penser. »
Je repris ma place face à elle de l’autre côté du feu. Le sommeil commençait enfin à arriver. Alors que je m’étirais ayant un bras engourdi, Sélène me déclara qu’elle me rendrait la cuillère la prochaine fois que nos chemins se croiseraient. Je ne pus me retenir de lui adresser un sourire. Nos chemins se croiseraient à nouveau j’en étais persuadé.
Bon… La nuit était bien avancée, il était temps de dormir. Le problème, c’est que je n’avais qu’une seule couverture, car il n’avait jamais été prévu que je dorme avec qu’un. Donnant la couverture à Sélène, je prévoyais déjà le fait qu’elle la refuse, aussi je pris les devants.
« Je suis un soldat. Ce ne sera pas la première, ni même la dernière fois que je dors à même le sol, alors que vous avec votre cheville… Et puis, il ne fait pas si mauvais que ça. »
Prenant place à bonne distance du feu, je m’installai aussi confortablement que possible par terre. Comme je venais de la dire, il ne faisait pas si mauvais que ça… Peut-être à cause de ces bouffées de chaleurs… Qu’importe !
Je m'apprêtais à refuser la couverture qu'il me tendait. Je ne tenais pas à abuser de sa gentillesse. Mais comme s'il avait deviner mes intentions, il me devança.
« Je suis un soldat. Ce ne sera pas la première, ni même la dernière fois que je dors à même le sol, alors que vous avec votre cheville… Et puis, il ne fait pas si mauvais que ça. »
Présenté ainsi, je pouvais difficilement refuser. Je l'acceptais, éprouvant déjà de la culpabilité à l'idée qu'il dorme sans couverture.
« Bonne nuit à vous Sélène. »
- Merci, bonne nuit, Ayama.
Comme j'avais du mal à m'endormir, je repensais à tout ce qu'il avait dit. Une phrase en particulier me laissait songeuse.
Si on ne croit pas en quelque chose, ce quelque chose ne sera jamais réalité…
Croire... Depuis la mort de ma sœur, je ne croyais plus en rien. Je n'avais qu'une idée en tête, faire justice moi-même. J'effleurais la cuillère en bois. Elle symbolisait une promesse. Je voulais y croire, croire que nos chemins se croiseront de nouveau. Mais au fond, croire ne suffit pas, il faut faire en sorte de transformer une chimère en réalité. J'avais fais une promesse et j'étais fermement décidée à faire tout mon possible pour la tenir. Je fermais le yeux, las, me laissant porter lentement par le sommeil.
La première chose que je fis en me réveillant: vérifier l'état de ma cheville. Elle était toujours aussi enflée. Je me levais tant bien que mal, le plus silencieusement possible pour ne pas réveiller Ayama. Mais ma cheville ne supportait plus le poids de mon corps. Si bien que je me retrouvais en équilibre sur un pied, adossée contre un arbre. La frustration me gagna et je laissais échapper un juron avant de me rappeler que je n'étais pas seule. J'espérais ne pas l'avoir réveillé.
Le soleil se levait doucement, éclairant notre campement au fur et à mesure. Mais je ne savais rien de tout cela, étant encore endormi et en plein milieu d’un rêve. Je voyais mes camarades gardes-frontières, je savais que j’étais avec quelqu’un, une femme je crois, mais j’étais incapable de voir son visage. Peut-être était-ce Mitsuna ? Enfin bref.
« Le premier qui tente de la séduire, je lui colle mon poing dans la face… »
C’est alors que j’étais encore totalement dans le monde des rêves que j’avais marmonné ça, le visage à moitié écrasé dans l’herbe. Je fus soudainement tiré de mes rêveries par… Un juron ? Oui… Je crois que c’est ça.
Ouvrant lentement les yeux, je me redressai. J’avais la moitié droit du corps engourdi, en particulière la joue droite sur laquelle était encore collée quelque brins d’herbe. Encore totalement dans le brouillard, je m’étirais et massais ma joue engourdie. Il était tôt ? Pff… J’en sais rien…
Observant les alentours, mon regard se stoppa quelques secondes sur la personne qui se tenait debout grâce à un arbre… Fronçant les sourcils afin d’essayer d’y voir plus clair, je me souvins que je ne n’étais pas seul cette fois. Bon… Me levant, je m’étirai une nouvelle fois.
« Bonjour Sélène… Bien dormie ? »
Je continuai mon inspection des alentours, essayant de trouver Tyr. Il devait pas être bien loin celui-là, de toute façon, il savait que c’était moi qui avait le riz et donc s’il voulait en manger, il devait trop s’éloigner.
Je regardais en direction d'Ayama, qui se redressait encore ensommeillé. Non seulement il s'était passé de sa couverture pour la nuit mais en plus il s'était réveillé à cause de moi. Je sentais la culpabilité m'envahir.
« Bonjour Sélène… Bien dormie ? »
-Oh, bonjour. Je suis sincèrement désolée de vous avoir réveillé si tôt. Pardonnez-moi. On peut dire que j'ai bien dormie, et vous? N'avez vous pas eu froid durant la nuit?
Je me penchais pour ramasser la couverture avec difficulté, dû à un équilibre incertain. Je n'osais plus m'appuyer sur mon pied droit. Tant que je ne mettais pas mon poids dessus, ça allait mais lorsque je tentais de marcher, ma cheville se faisait douloureuse. ça devait être une entorse. J'allais devoir consulter un guérisseur au plus vite pour m'assurer que ma cheville se remette bien et rapidement.
Bien sûr, je n'étais pas encore en état de marcher. Mais cela m'ennuyait beaucoup de demander à Ayama de m'aider. Après tout ce qu'il avait fait pour moi, je ne me sentais pas en droit de demander quoi que ce soit de sa part. Même si je savais qu'il le ferait volontiers. Mais avais-je seulement le choix? La perspective de rester seule ici, dans cet état ne m'enchantait guère. Je me retrouvais dans une impasse mais j'hésitais encore. Il fallait pourtant bien que je me fasse à l'idée que dans certaines situations, il n'est pas possible de s'en sortir seule.
Je rassemblais mes pensées, ne sachant pas encore comment le formuler. Puis une fois trouvées, je répétais ces phrases dans ma tête. Mais lorsque j'ouvris la bouche les mots restèrent coincés dans ma gorge. Je me mordis la lèvre, gênée. Il était difficile de ravaler son ego.
- Hum... je me demandais si... euh, si vous...
Flûte! Pourquoi n'arrivais-je pas tout simplement à le dire? ahh! Retraite!
- Non, oubliez ce que je viens de dire, ce n'était rien de bien important.lâchais-je, exaspérée par ma lâcheté.
C’était apparemment elle qui m’avait réveillée en poussant un juron. Quel que soit l’origine du juron, je ne pouvais pas lui en vouloir car on finit tous par se lever un moment ou un autre. À présent, elle me retournait la question, me demandant également si je n’avais pas eu trop froid. J’haussai un peu les épaules tout en continuant de chercher ma monture du regard.
« Ne vous excusez pas, je me serais bien réveillé un jour. Sinon, j'ai bien dormi, merci. En ce qui concerne le froid, le feu m’a suffisamment tenu chaud, de plus, je ne crains pas énormément le froid. »
Hmm… Il n’y avait rien à faire. Je n’arrivais pas à trouver Tyr. Où est-ce qu’il pouvait s’être fourré celui-là ? Me frottant l’arrière de la tête puis cachant un bâillement du revers de la main, il était temps de prendre un petit-déjeuner. Heureusement que je lui avais retiré sa selle, sinon il se serait balader avec notre repas.
Rallumant rapidement un petit feu, j’y mis quelque tranche de viande séchée à cuire. Ce n’est pas le must, mais c’est mieux que rien. En attendant que le repas cuise, je débarrassai Sélène de la couverture que je rangeai à l’arrière de la selle. La chanteuse prit la parole d’une voix plutôt incertaine. Je l’écoutai puis, finalement, elle se ravisa, affirmant que cela n’avait aucune importance. Je pris la parole à mon tour, mais pour une toute autre raison.
« Vous devriez rester assise, avec votre cheville. Excusez-moi un instant. »
Je m’éloigna un peu du feu, mis mes mains de part et d’autre de ma bouche, pris une profonde inspiration puis :
« Tyr ! Si tu te ramènes pas tout de suite ! Tu peux oublier ta portion du matin ! »
Voilà ! Le connaissant, ce ventre sur patte n’allait pas tarder à rappliquer dard-dard afin de se remplir la panse. Revenons donc à l'instant présent.
« Vous êtes sûre que ça ira avec votre cheville ? »